Nicolas Chopin mit en garde son fils contre Antoine Wodziński, qui fut jadis son élève.
"L'aîné des Wodziński était un panier percé qui ne savait trop quoi faire de son oisiveté. Ayant participé à l'Insurrection, il était interdit de séjour en Pologne et voyageait d'un pays à l'autre, toujours à court d'argent. Chopin connaissait bien son caractère faible et insouciant, mais il lui était très attaché : il l'accueillit à bras ouverts, lui servit de cicerone et lui prêta de l'argent, à fonds perdus. Dès qu'il s'agissait de ses compatriotes, il donnait sans compter de ses deniers comme de sa personne, considérant cet engagement comme un devoir moral. (...)".
Ce ne fut pas à Dresde, mais à Marienbad, que Chopin retrouva Maria l'été suivant.
"Madame Wodzińska devait y passer une partie de l'été en compagnie des ses filles, Maria et Jozefa. Chopin quitta Paris le 19 juillet. Neuf jours plus tard, il était en Bohême.
Il s'installa pour quatre semaines dans le même hôtel que Madame Wodzińska, 'Au Cygne blanc'."
Pendant cette période, Chopin maigrissait et sa toux s'aggravait. Madame Wodzińska insistait pour qu'il se soignât. C'est aussi durant ce séjour qu'il posa devant Maria pour un portrait à l'aquarelle de très grande qualité artistique (voir article précédent).
"Maria voyait Chopin en mi mineur. (...) Lui la décrivit en fa mineur : ils décidèrent que la deuxième Etude du futur opus 25 serait le portrait de Maryna. (...) Au bout de quatre semaines de flirt très comme il faut, il parla de mariage. Maria était très ingénue. Elle avait reçu une éducation trop conformiste pour ne pas s'ouvrir à sa mère d'un projet qui engageait toute sa vie. En l'absence de son mari, Madame Wodzińska accueillit favorablement une demande en mariage sans surprise et flatteuse car elle était très sensible à la célébrité européenne du compositeur. Mais elle imposa le secret absolu tant qu'elle n'avait pas obtenu l'assentiment du père de Maria. Entre eux trois, ils usèrent désormais d'un mot de passe : l'amour des jeunes gens fut nommé 'Szara godzina' (l'heure grise). Etrange cryptogramme pour une jeune idylle et de bien fâcheux augure. (...)
Le 24 août, Mme Wodzińska et ses filles regagnèrent Dresde. Chopin les accompagna et passa encore une dizaine de jours en Saxe. Pour respecter les convenances, il était descendu à l'Hôtel de Berlin, mais il passait le plus clair de ses journées dans l'appartement de la Rampische straBe. (...) La demande en mariage resta donc officieuse et, peut-être pour surseoir à un engagement qu'elle avait pris seule, Mme Wodzińska en suspendit la réalisation à la santé de Chopin. Elle l'obligea à consulter leur médecin, le docteur Paris qui conseilla un régime adapté à un rentier valétudinaire : boire de l'eau de gomme, se coucher à onze heures, porter des chaussettes chaudes et des pantoufles. Maria en broda une paire pour son maestro, trop grandes, mais 'le docteur Paris me console en me disant que c'est bien pour vous, car vous devez porter en hiver des bas de laine bien chauds'. Le thème des pantoufles, qui allait traîner dans leur correspondance pendant des mois, n'était pas seulement caricatural, il trahissait une complète ignorance de la vie d'un artiste à Paris et des choix qu'avait faits Chopin. Il promit tout ce qu'on voulait puisque c'était un temps d'épreuve imposé...
Quand il quitta Dresde le 10 septembre, il se considérait comme fiancé à Maria Wodzińska."
Source : "Chopin, l'enchanteur autoritaire" par Marie-Paule Rambeau (Ed. l'Harmattan)