"Les eaux ferrugineuses que les curistes absorbaient tout au long de la journée, associées à des douches chaudes et à une cure de petit-lait, constituaient le traitement de base qui durait cinq semaines et était censé guérir les affections pulmonaires." (M.P. Rambeau)
Dans sa lettre à Wilhem Kolberg du 18 août 1826 (voir ci-dessus), Chopin décrit les rituels de la cure et son emploi du temps :
"Le matin au plus tard à 6 heures, tous les curistes se réunissent autour de la source. Un orchestre d'instruments à vent formé par quelques caricatures en tous genres (...), ce mauvais orchestre joue tandis que les Kur-Gaeste se promènent lentement. Ha ! que voilà une belle redoute ou plutôt une mascarade, car, bien que ces baigneurs ne portent pas de masques, beaucoup d'entre eux s'abusent les uns les autres et certains se laisseraient pendre s'il était de bonne compagnie de le faire. Cette promenade se fait dans une charmante allée reliant l'Anstalt à la ville. Elle dure plus ou moins selon le nombre de verres qu'il faut absorber et en général se prolonge jusqu'à huit heures du matin. Après, chacun rentre chez soi pour déjeuner. Le plus souvent, je me promène ensuite. Je marche jusqu'à midi, moment où l'on dîne pour se rendre immédiatement après à la source. Après midi, plus grande mascarade encore que le matin car chacun s'est paré et se montre dans un autre costume. De nouveau, la musique sévit et l'on se promène jusqu'au soir. Comme je ne bois que deux verres de Laubrunnn pendant l'après-midi, je rentre alors aussitôt pour la collation. Bientôt après, je me couche."
Certaines promenades lui sont interdites, en raison de son état de santé, comme par exemple le célèbre mont Szczeliniec Wielki (qu'il nomme dans ses lettres le Heuscheuer). Il espère se rendre sur le Hohemenze, c'est à dire le fameux sommet d'Orlica.
Par contre, nous savons qu'il est allé sur une montagne appelée Einsiedelei, où se trouve un ermitage. Celui-ci se situait près de la chapelle votive de la Trinité, construite au-dessus de la ville sur le Mont Rozalii après l'épidémie de 1680.
On suppose, d'après les récits de Ludwika, qu'il visita également le moulin classé à la limite de la ville, qui était une manufacture de papier.
C'est naturellement le premier concert public à l'étranger du jeune homme de seize ans qui fut le plus largement commenté aux Bains, où trois ans plus tôt, s'était produit le jeune Mendelssohn âgé de 14 ans. Le but en était la bienfaisance, bien que les circonstances n'en soient pas claires. Le "Courrier de Varsovie" n° 22 d'août 1826 écrit :
Un jeune artiste polonais, Fryderyk Chopin, sur l'ordre des docteurs de Varsovie, séjourne à Reinertz depuis quelques temps pour rétablir sa santé. Alors que plusieurs enfants se sont retrouvés orphelins après la mort de leur père, venu en cure, M. Chopin, encouragé par une personne qui connaît son talent, a donné deux concerts à leur bénéfice, qui lui ont valu beaucoup d'éloges et ont procuré à ces malheureux un grand soutien. Cet adolescent s'est fait entendre maintes fois à Varsovie, et, chaque fois, il a suscité l'admiration que mérite au plus haut point son talent.
Il existe aussi une version plus romantique, qui fut publiée en 1892 dans les "Echos musicaux" : l'orpheline à laquelle Chopin vint en aide par sa musique était la belle Libusza, qui ne lui était pas indifférente, qui distribuait de l'eau aux curistes des Bains et dont le père, un ouvrier, était mort au sanatorium. Le hic est que, pendant le séjour de Chopin, aucun curiste ne mourut ni aucun ouvrier, mais... le maître drapier Joseph Schoor, laissant orphelin quatre petits enfants (Sur les pas de Chopin, Bosz)
On sait avec certitude que le concert du 16 aoùt 1826 fut donné dans la Salle du Théâtre des Bains, un bâtiment élevé vers 1810 où se concentrait la vie culturelle du centre de cure. Le plus grand problème pour le musicien perfectionniste était l'absence d'un bon piano...
Vue du Théâtre en 1897 (le monument de Chopin que l'on voit à droite date également de 1897)
Dans sa lettre à Chopin du 19 août 1826, son ancien professeur Zywny, qui lui avait conseillé de donner un concert, le félicite : "Je désire de tout mon coeur vous embrasser bientôt en parfaite santé. Je vous baise cordialement et suis avec véritable amour et considération votre fidèle ami."
Vue plus récente du Théâtre
Chopin et sa mère quittèrent Reinerz le 11 septembre 1826.
Facture à Mme Chopin
Chopin a meilleure mine, il aurait même grossi, "ce qui devrait me rendre paresseux", dit-il !
Sa petite soeur Emilia, elle, s'éteignit quelques mois plus tard, le 10 avril 1827. Sur sa pierre tombale, on peut encore lire : "Emilia Chopin a disparu au quatorzième printemps de sa vie, comme une fleur dans laquelle s'épanouissait le bel espoir du fruit". Pour Frédéric, ce deuil très douloureux marqua la fin de l'adolescence et de l'insouciance.
Source :
Sur les pas de Chopin, Bosz
Chopin, l'enchanteur autoritaire, Marie-Paule Rambeau, l'Harmattan