Après sa récente analyse de mon ouvrage 'Quintessence" consacré au pianiste Alain Amand (http://de-la-note-a-la-plume.over-blog.com/pages/Avis_des_lecteurs-2269933.html), l'écrivain Anna Van Buck vient de me faire parvenir ses réactions à la lecture de mon roman "Le piano-feu", réactions que j'ai le plaisir de vous soumettre ci-dessous en adressant mes plus vifs remerciements à Mme Van Buck.
Avec ce deuxième roman de Carmen Desor, nous retrouvons le pianiste Alain Amand dont la carrière fut si bien dépeinte dans son premier ouvrage « Quintessence ». Mais, cette fois-ci, nous pénétrons plus profondément dans la personnalité du pianiste et, surtout, son âme se révèle à nous avec ses tumultes, ses paradoxes et sa recherche perpétuelle de l’absolu. Nous allons connaître davantage l’homme tourmenté qui se cache derrière l’artiste.
Quand on découvre un être, on se demande souvent quel enfant il a été, quelle enfance il a vécue. Tant de nos comportements plongent leurs racines dans nos premières années d’existence ! " Le piano-feu" répond à ces questions en nous faisant partager la vie quotidienne du petit Aubin (alias Alain), un enfant qui, dès le départ, est frappé d’une différence qui l’isole des autres. Seuls un frère aîné et une aïeule parviennent à comprendre ce petit garçon dont la sensibilité est à fleur de peau. Ses parents ne saisissent pas les besoins qu’exprime leur fils cadet et lui témoignent peu d’affection. D’ailleurs, l’enfant évolue dans un milieu modeste où les conditions de vie assez rudes ne facilitent pas les gestes de tendresse.
Mais un jour aura lieu « la rencontre », celle qui va bouleverser la vie du garçonnet et lui permettre de cristalliser toutes les aspirations qui le tourmentent sans qu’il puisse leur donner un nom. Cette rencontre, c’est la musique. Cette musique qui le hante depuis toujours. Quand Aubin pénètre dans le salon rouge où l’attend (depuis combien de temps ?) Franz, sa vie va prendre un nouveau tournant. Franz sera pour lui, bien plus qu’un ami, un confident, un guide, un Pygmalion, un mécène. Il va lui faire prendre conscience de tout ce potentiel de richesses qu’il porte en lui, et surtout lui permettre de canaliser toutes ces richesses en s’épanouissant dans l’Art pour lequel il est né. Car, un autre personnage se trouve dans la pièce : le piano.
Dans cette pièce feutrée où la seule luminosité provient de la combustion des bûches de l’âtre, le piano trône comme flamboyant. Et Franz va l’initier, l’aider de toutes ses forces déclinantes car il est très malade…
L’enfant, puis l’adolescent, va peu à peu découvrir sa vocation, sa personnalité même avec son homosexualité latente (l’auteur nous le montre avec beaucoup de délicatesse). L’enfant qui se montrait capable de s’émerveiller aux premiers flocons de neige va se donner à corps perdu dans cet Art ! Il ne peut se contenter de l’à-peu-près, seule la perfection l’attire. C’est un anxieux, jamais vraiment satisfait de lui-même. A ce rythme, il usera peu à peu toutes ses forces. Le piano est devenu sa raison de vivre et bientôt sa torture aussi. Le mal qui le ronge, sans être le même que celui que Franz a connu avant lui, est tout aussi destructif.
Plus que jamais, Carmen Desor nous décrit un univers où réalité, rêve se côtoient et s’entremêlent. Franz semble un spectre dans le salon couleur rubis. Serait-il Franz Liszt réincarné ? Cela ne surprend pas le lecteur. Il est plongé dans un monde en dehors du temps où une telle idée finit par paraître naturelle. Et c’est là que se révèle tout le talent de l’auteur. Le piano lui-même prend vie, il semble de feu, jusqu’à brûler à la longue les doigts du pianiste, mais cela aussi semble normal au lecteur tout imprégné de cette ambiance irréelle. Les descriptions sont si soignées que l’on vit les scènes, on les voit comme un « film » un peu fantastique.
Au-delà de l’histoire d’Aubin, l’auteur décrit très bien la personnalité souvent complexe de l’artiste en général. Et c’est dans cet aspect que réside un des intérêts (et non des moindres) de ce roman.
En effet, l’artiste est, par définition, un être à part qui ressent des choses que les autres ne perçoivent pas, qui ressent des besoins que les autres ne soupçonnent même pas, et cela dès l’enfance. Il vient au monde ainsi. Entre la folie et le caractère de l’artiste, la barrière est souvent mince et, sans le secours d’un Pygmalion comme Franz, certains artistes ont pu autrefois passer pour aliénés ou tout au moins illuminés. Fort heureusement, notre époque plus indulgente se contente de les qualifier « d’originaux ». De toute façon, il s’agit d’êtres fragiles et l’on comprend qu’il n’est pas toujours facile de vivre auprès d’un artiste. L’auteur a très bien analysé cet état de faits. Elle apparaît d’ailleurs dans le récit, et se parachève alors cet amour condamné d’avance.
Si vous voulez vous plonger dans un monde où la réalité, le rêve, l’imaginaire et un certain réalisme saisissant se côtoient sans choquer (la vie n’est-elle pas souvent faite ainsi, malgré les apparences ?), si vous voulez pénétrer dans le labyrinthe compliqué mais combien attachant de l’âme d’un artiste, ce livre est fait pour vous ! Vous comprendrez peut-être un peu mieux ces êtres originaux, un peu fous souvent, que sont les artistes. Et Dieu sait que notre monde actuel mis en fiches et en données a besoin de ces individus «à part », inclassables.
Vous verrez aussi que certains parmi eux veulent exceller dans leur art (car, chez les artistes comme dans d’autres milieux, il y a l’élite, c'est-à-dire ceux qui visent la perfection sans se soucier outre mesure des honneurs et des bravos). Aubin appellera cela « la ligature ». Ces « perfectionnistes » se sacrifieront pour leur art, allant jusqu’à l’autodestruction. Certains êtres brûlent leur vie, celle-ci ne peut qu’être brève car ils se donnent sans compter. L’Art, et la musique en particulier, est une mère exigeante qui dévore parfois ses petits. Ill est vrai que, déjà, dans le premier roman, le pianiste n’était pas appelé à vivre longtemps. Mais ce deuxième roman met un point final à cette œuvre menée avant tant de brio. Je ne vous dirai pas de quelle façon car je ne voudrais pas gâcher le plaisir du lecteur. Plaisir et émotion qui furent les miens quand je terminai ce roman.
Pour les artistes, ils se reconnaîtront dans le portrait d’Aubin (dans une plus ou moins grande mesure). Quant aux autres, les « cartésiens », ce livre leur ouvrira des horizons nouveaux et leur permettra de mieux appréhender le monde de l’Art, avec sa complexité, ses richesses, sa marginalité parfois, ses faiblesses, sa fragilité et ses déchirures. Au-delà du portrait d’Aubin, le deuxième roman de Carmen Desor donne accès à tout un univers où l’amour sous toutes ses formes est roi, en particulier celui qui anime l’artiste pour son œuvre, amour passionné qui envahit une existence, mais amour fascinant pour ceux qui ont le bonheur de pouvoir le découvrir au travers de cette lecture, et je souhaite qu’ils soient nombreux.
Anna Van Buck, le 07 août 2010
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