"Je crois que la musique a reposé jusqu'ici sur un principe faux. On cherche des idées en soi alors qu'on devrait les chercher autour de soi... Voir se lever le soleil est plus utile pour un compositeur que d'entendre la "Symphonie Pastorale" de Beethoven. La sagesse pour un musicien est de n'écouter les conseils de personne sinon du vent qui passe et nous raconte l'histoire du monde."
"La musique est une mathématique mystérieuse dont les éléments participent de l'infini et qui est responsable du mouvement des eaux, du jeu des courbes que décrivent les brises changeantes ; rien n'est plus musical qu'un coucher de soleil. [...] Seuls, les musiciens ont le privilège de capter toute la poésie de la nuit et du jour, de la terre et du ciel, d'en reconstituer l'atmosphère et d'en rythmer l'immense palpitation."
Claude Debussy (1862-1918)
Rien ne destinait Debussy à la musique : ni ses parents qui tenaient un commerce de porcelaine à Saint-Germain- en-Laye (au 38 rue du Pain), et qui le destinaient à la carrière de marin, ni ses proches qui n'avaient aucun don musical. C'est grâce à son parrain, Achille Arosa, banquier et collectionneur d'art, qui habitait Cannes, qu'il découvrit la mer, Corot et la peinture impressionniste, et qu'il prit ses premières leçons de piano avec Cerutti. Mais ses dons musicaux ne furent vraiment découverts que grâce à Mme Antoinette-Flore Mauté de Fleurville (née Chariat), ancienne élève de Chopin* et belle-mère de Paul Verlaine, qui lui transmit l'amour du piano.
Antoinette-Flore Mauté de Fleurville, née Chariat
"C'est sur les rives de la mer latine que les dispositions musicales de l'enfant attirèrent l'attention de son entourage. Une femme intelligente et artiste, Mme Mauté de Fleurville, qui avait été l'élève de Chopin, devina tout ce qu'on pouvait attendre de ce garçonnet si bien doué et se chargea de lui apprendre le piano. Ici encore, l'empreinte fut féconde et durable. Le jeu sensible, moelleux et profond de l'auteur des Reflets dans l'eau s'inspira toujours du pieux message apporté par l'élève du Maître polonais et recueilli avec amour par le musicien français le mieux fait pour le comprendre. [...]
Ce sont, également, les rencontres que lui ménageaient ses vacances méridionales qui décidèrent de toute sa carrière. Mme de Fleurville ne se contenta pas, en effet, d'initier son protégé aux secrets du clavier. Elle avait reconnu en lui un enfant chéri des Muses, un "Damoiseau élu" promis à un glorieux destin, et elle usa de toute son autorité pour décider ses parents à en faire un musicien professionnel plutôt qu'un navigateur. Elle ne put triompher de leur résistance qu'en laissant ces petits commerçants s'hypnotiser ingénument sur les gains considérables que l'on peut attendre d'une carrière de pianiste-virtuose. C'est ce mirage qui les fit consentir à la présentation de l'enfant au Conservatoire."
Emile Vuillermoz (Claude Debussy, Flammarion)
(*) Premier professeur de Debussy, Mme Mauté passe pour avoir travaillé avec Chopin, bien qu'on ne posséde pas de témoignage confirmant ou infirmant la chose. Ex-Mme Paul Verlaine, la fille de Mme Mauté écrit à propos de sa mère : "Ma grand-mère lui fit donner des leçons par Chopin qui perfectionna son talent : c'est avec le maître lui-même qu'elle apprit à jouer si admirablement ses Polonaises et ses Impromptus." Or, les souvenirs de la fille de Mme Mauté sont trop sujets à caution pour qu'on puisse retenir son allégation en toute certitude. (JJ. Eigeldinger, Chopin vu par ses élèves)