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14 janvier 2011 5 14 /01 /janvier /2011 23:43

 

 

Chopin avait bien pressenti le danger d'un article rédigé par Liszt. Ses appréhensions étaient fondées. Mais je me permets de citer ici Marie-Paule Rambeau :

 

 

"La méfiance de Chopin à l'égard de la critique de Liszt n'était pas entièrement injustifiée. Les éloges et l'admiration ne lui étaient certes pas mesurés, mais Liszt faisait en sorte de mettre Chopin hors jeu et l'éliminait en temps que rival sur son terrain, car il n'est pas question des qualités de son jeu, en soulignant assez perfidement que son retrait du mouvement musical avait créé autour de lui "un silence complet de la critique (..) comme si la postérité était venue"; S'agissant d'un homme qu'on savait malade, la remarque était spécialement déplacée ; elle impliquait qu'ayant atteint la plénitude de ses pouvoirs créateurs, Chopin n'évoluerait plus. Par ailleurs, l'insistance à désigner "cette célébrité exquise, toute en haut lieu, excellemment aristocratique", réduisait la réception de l'oeuvre de Chopin à une élite de fidèles inconditionnels, véritable rempart contre le jugement du vrai public. Enfin la comparaison avec son compatriote Mickiewicz était particulièrement dépréciative et atteignait doublement sa cible : la gloire de Chopin ne pouvait prétendre à se mesurer à celle de l'illustre poète parce que le piano était incapable d'exprimer la profondeur et l'énergie de sa pensée : "ses moyens d'expression étaient trop bornés, son instrument trop imparfait ; il ne pouvait à l'aide d'un piano se révéler tout entier." Et d'attribuer à cette insuffisance de l'instrument l'introversion de Chopin et la mélancolie de son inspiration, signes d'une insatisfaction permanente. Liszt se rangeait donc à l'avis de Schumann. Il lui faudrait plusieurs années pour revenir sur ce contresens qui dénotait la divergence des orientations esthétiques des deux musiciens à cette époque."

 

 

Marie-Paule Rambeau -  Chopin, l'enchanteur autoritaire (Ed.L'Harmattan)

 

 

 

 

 

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11 janvier 2011 2 11 /01 /janvier /2011 20:43

 

Franz Liszt, lithographie par Joseph Kriehuber

 

 Franz Liszt, lithographie de Joseph Kriehuber

 

 

 

Concert de Chopin

 

Lundi dernier, à huit heures du soir, les salons de M. Pleyel étaient splendidement éclairés ; de nombreux équipages amenaient incessamment au bas d’un escalier couvert de tapis et parfumé de fleurs les femmes les plus élégantes, les jeunes gens les plus à la mode, les artistes les plus célèbres, les financiers les plus riches, les grands seigneurs les plus illustres, toute une élite de société, toute une aristocratie de naissance, de fortune,  de talent et de beauté.

Un grand piano à queue était ouvert sur une estrade ; on se pressait autour ; on ambitionnait les places les plus voisines ; à l’avance on prêtait l’oreille, on se recueillait, on se disait qu’il ne fallait pas perdre un accord, une note, une intention, une pensée  de celui qui allait venir s’asseoir là. Et l’on avait raison d’être ainsi avide, attentif, religieusement ému, car celui que l’on attendait, que l’on voulait voir, entendre, admirer, applaudir, ce n’était pas seulement un virtuose habile, un pianiste expert dans l’art de faire des notes ; ce n’était pas seulement un artiste de grand renom, c’était tout cela et plus que tout cela, c’était Chopin.

Venu en France il y a dix ans environ, Chopin, dans la foule des pianistes qui à cette époque surgissait de toutes parts, ne combattit point pour obtenir la première ni la seconde place. Il se fit très peu entendre en public ; la nature éminemment poétique de son talent ne l’y portait pas. Semblable à ces fleurs qui n’ouvrent qu’au soir leurs odorants calices, il lui fallait une atmosphère de paix et de recueillement  pour épancher librement les trésors de mélodie qui reposaient en lui. La musique, c’était sa langue : Langue divine dans laquelle il exprimait tout un ordre de sentiments que le petit nombre seul pouvait comprendre.  Ainsi qu’à cet autre grand poète, Mickiewicz, son compatriote et son ami, la muse de la patrie lui dictait ses chants, et les plaintes de la Pologne empruntaient à ses accents je ne sais quelle poésie mystérieuse qui, pour tous ceux qui l’ont véritablement sentie, ne saurait être comparée à rien. Si moins d’éclat s’est attaché à son nom, si une auréole moins lumineuse a ceint sa tête, ce n’est pas qu’il n’eût en lui peut-être la même énergie de pensée, la même profondeur de sentiment que l’illustre auteur de Konrad Wallenrod et des Pélerins ; mais ses moyens d’expression étaient trop bornés, son instrument trop imparfait ; il ne pouvait à l’aide d’un piano se révéler tout entier. De là, si nous ne nous trompons, une souffrance sourde et continue, une certaine répugnance à se communiquer au dehors, une mélancolie qui se dérobe sous des apparences de gaieté, toute une individualité enfin remarquable et attachante au plus haut degré.

Ainsi que nous l’avons dit, ce ne fut que rarement, à de très distants intervalles, que Chopin se fit entendre en public ; mais ce qui eût été pour tout autre une cause presque certaine d’oubli et d’obscurité, fut précisément ce qui lui assura une réputation supérieure aux caprices de la mode, et ce qui le mit à l’abri des rivalités, des jalousies et des injustices, Chopin, demeuré en dehors du mouvement excessif qui, depuis quelques années,  pousse l’un sur l’autre, et l’un contre l’autre, les artistes exécutants de tous les points de l’univers, est resté constamment entouré d’adaptes fidèles, d’élèves enthousiastes,  de chaleureux amis qui, tout en le garantissant des luttes fâcheuses et des froissements pénibles, n’ont cessé de répandre ses œuvres, et avec elles l’admiration pour son génie et le respect pour son nom. Aussi, cette célébrité exquise, toute en haut lieu, excellemment aristocratique, est-elle restée pure de toute attaque. Un silence complet de la critique se fait déjà autour d’elle, comme si la postérité était venue ; et dans l’auditoire brillant qui accourait auprès du poëte (*) trop longtemps muet, il n’y avait pas une réticence, pas une restriction : toutes les bouches n’avaient qu’une louange.

Nous n’entreprendrons pas ici une analyse détaillée des compositions de Chopin. Sans fausse recherche de l’originalité, il a été lui, aussi bien dans le style que dans la conception. A des pensées nouvelles, il a su donner une forme nouvelle. Ce quelque chose de sauvage et d’abrupte qui tenait à sa patrie, a trouvé son expression dans des hardiesses de dissonance, dans des harmonies étranges, tandis que la délicatesse et la grâce qui tenaient à sa personne se révélaient en mille contours, en mille ornements d’une inimitable fantaisie.

Dans le concert de lundi, Chopin avait choisi de préférence celles de ses œuvres qui s’éloignent davantage des formes classiques. Il n’a joué ni concerto, ni sonate, ni fantaisie, ni variations, mais des préludes, des études, des nocturnes et des mazurkes (**). S’adressant à une société plutôt qu’à un public, il pouvait impunément se montrer ce qu’il est, poëte élégiaque, profond, chaste et rêveur. Il n’avait besoin ni d’étonner ni de saisir ; il cherchait des sympathies délicates plutôt que de bruyants enthousiasmes. Disons bien vite que ces sympathies ne lui ont pas fait défaut. Dès les premiers accords il s’est établi entre lui et son auditoire une communication étroite. Deux études et une ballade ont été redemandées, et sans la crainte d’ajouter un surcroît de fatigue à la fatigue déjà grande qui se trahissait sur son visage pali, on eût redemandé un à un tous les morceaux du programme.

Les Préludes de Chopin sont des compositions d’un ordre tout à fait à part. Ce ne sont pas seulement, ainsi que le titre pourrait le faire penser, des morceaux destinés à être joués en guise d’introduction à d’autres morceaux, ce sont des préludes poétiques, analogues à ceux d’un grand poëte contemporain, qui bercent l’âme en des songes dorés,  et l’élèvent jusqu’aux régions idéales. Admirables par leur diversité, le travail et le savoir qui s’y trouvent ne sont appréciables qu’à un scrupuleux examen. Tout y semble de premier jet, d’élan, de soudaine venue. Ils ont la libre et grande allure qui caractérise les œuvres du génie.

Que dire des mazurkes, ces petits chefs-d’œuvres  si capricieux et si achevés pourtant ?

 

Un sonnet sans défaut vaut seul un long poeme,

 

a dit un homme qui faisait autorité au plus beau siècle des lettres françaises. Nous serions bien tentés d’appliquer aux mazurkes l’exagération même de cet axiome, et de dire que pour nous, du moins, beaucoup d’entr’eux valent de très longs opéras.

Après tous les bravos prodigués au roi de la fête,  M. Ernst a su en obtenir de bien mérités. Il a joué dans un style large et grandiose, avec un sentiment passionné et une pureté digne des maîtres, une élégie qui a vivement impressionné l’auditoire.

Madame Damoreau, qui avait prêté à ce concert de fashion son charmant concours, a été, comme d’habitude,  ravissante de perfection.

Encore un mot avant de terminer ces quelques lignes que le manque de temps nous force d’abréger.

La célébrité ou le succès qui couronnent le talent et le génie sont en partie le produit de circonstances heureuses. Les succès durables sont rarement injustes,  à la vérité. Toutefois, comme l’équité est peut-être la qualité la plus rare de l’esprit humain, il en résulte que, pour certains artistes, le succès reste en-deçà, tandis que pour d’autres il va au-delà de leur valeur réelle.  On a remarqué que dans les marées régulières il y avait toujours une dixième vague plus forte que les autres ; ainsi, dans le train du monde, il est des hommes qui sont portés par cette dixième vague de la fortune, et qui vont plus haut et plus loin que d’autres, leurs égaux ou même leurs supérieurs. Le génie de Chopin n’a point été aidé de ces circonstances particulières. Son succès,  quoique très grand, est resté en-deçà de ce qu’il devait prétendre. Toutefois, nous le disons de conviction, Chopin n’a rien à envier à personne. La plus noble et la plus légitime satisfaction que puisse éprouver l’artiste n’est-elle pas de se sentir au-dessus de sa renommée, supérieur même à son succès, plus grand encore que sa gloire ?

                                                                                                                                   F. LISZT.

 

 

 

Compte-rendu par Franz Liszt du concert de Chopin du 26 avril 1841

« Revue et Gazette Musicale de Paris », n° 31 du 2 mai 1841

 

 

(*) Orthographe de Liszt

(**) mot employé par Liszt

 

 

 

 

 

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30 août 2010 1 30 /08 /août /2010 20:45

   

Cela fait 8 ans que Chopin n'a pas joué en public...

Mme Sand annonce gaiement le concert à Pauline Viardot :

 

"Une grande, grandissime nouvelle, c'est que le petit Chip Chip va donner un grrrrrand concert. [...] Il ne veut pas d'affiches, il ne veut pas de programme, il ne veut pas de nombreux public, il ne veut pas qu'on en parle. Il est effrayé de tant de choses que je lui propose de jouer sans chandelles, et sans auditeurs sur un piano muet."

 

(G.Sand à Pauline Viardot, 18 avril 1841)

 

 

De plus, Chopin est contrarié. Ce ne sera pas Legouvé qui fera le compte rendu de la soirée pour la Revue et Gazette musicale. Ce sera Liszt dont Chopin -le rival- se méfie. "J'aurais mieux aimé que ce fût vous" dit-il à Legouvé. "Fiez vous à son admiration pour votre talent. Je vous promets qu'il vous fera un beau royaume", répond celui-ci. "Oui, dit Chopin en souriant, dans son empire."

 

 

Les journaux soulignent le caractère exceptionnel de l'événement à venir :

 

Article France Musicale 25 avril 1841

 

 

 

"Les nombreux admirateurs du talent hors ligne de M. Chopin sont enfin parvenus à décider le célèbre artiste à se faire entendre en public. Ainsi, une occasion solennelle va se présenter où l'on pourra mettre en parallèle le génie, oui, le génie modeste d'un pianiste-compositeur, qui n'a jamais eu recours à des moyens excentriques pour attirer sur lui l'attention du public, avec les prétentions exagérées d'autres pianistes-compositeurs dont tout le talent consiste à se faire encenser dans les journaux par des amis maladroits. Chopin est un de ces artistes qui vivent de rêverie, qui ne recherchent pas le bruit de la foule pour y mêler leurs voix criardes et sans harmonie : Chopin est le poète du coeur, le pianiste inspiré qui vous émeut toujours par une forme d'exécution pleine de grâce et de suavité ; rien en lui n'est tourmenté, n'est exagéré ; c'est l'artiste tel que nous le voulons, tel que nous le comprenons, mélodiste avant tout, simple, naturel, plein de goût, de tendresse, d'élévation, de douceur et de passion tout à la fois !

Mme Damoreau et  Ernst se sont empressés d’assurer leur concours à M. Chopin ; on ne pouvait former une plus brillante trinité d’artistes. C’est dans les élégants salons de M. Pleyel, rue Rochechouart, qu’aura lieu, demain 26, à huit heures du soir, le concert de M. Chopin."

 

(La France musicale n° 17 du  25 avril 1841)

 

 

Le 26 avril 1841, salle Pleyel, où on reconnaît Liszt, Berlioz, Kalkbrenner, Mickiewicz, Heine, Delacroix, Chopin joue 4 de ses Préludes, la Ballade en fa majeur op. 38, le Scherzo op. 39, une Polonaise op. 40, les Nocturnes op.37 et 4 Mazurkas op.41, 3 Etudes, soulevant une ovation qui semble ne pas devoir s'éteindre.

  

Salle Pleyel

 

"L'artiste, le poète plutôt, a cédé enfin ; il s'est montré, on l'a entendu et on l'a applaudi, tant applaudi que depuis près de huit jours, il ne sait plus ce qu'il a fait, ce qu'il a vu, ce qu'il a entendu" (Escudier)

"Ecoutez Chopin et vous comprendrez bien vite qu'il n'a fait aucun sacrifice à la mode, qu'il ne s'est pas prosterné devant les caprices du mauvais goût pour arriver à la fortune et à la renommée." (Escudier)

"On peut dire que Chopin est le créateur d'une école de piano et d'une école de composition." (Escudier)

 

 

Liszt fera un article au premier abord très élogieux, mais en réalité très adroitement et perfidement réducteur, rivalité oblige, comme l'avait craint Chopin...

 

 

 

En plus de la gloire, ce concert rapporta à Chopin plus de 6000 francs.

 

  

 

 

 

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20 août 2010 5 20 /08 /août /2010 20:39

 

 

Une amitié étroite lia Alkan à Frédéric Chopin, non seulement parce que celui-ci vivait ordinairement à Paris, tandis que Liszt (avec qui Alkan entretenait de bonnes relations)  n'y faisait que des apparitions passagères entre ses voyages triomphaux dans les différentes capitales de l'Europe, mais parce qu'Alkan se sentait subjugué par le génie du grand compositeur franco-polonais, au souvenir duquel il voua un véritable culte, jusqu'à son dernier jour.

 

 

"Chopin et lui, c'est l'alliance de deux profondes solitudes, qui exècrent la moiteur des expansions sentimentales. Au dernier concert, donné au bénéfice d'Alkan, le 3 mars 1838, dans les salons de Pape, Chopin, qui répugne aux exécutions publiques, a bien voulu tenir l'une des parties dans l'allegretto et le finale de la Septième Symphonie de Beethoven qu'Alkan a transcrits pour deux pianos et huit mains, les autres parties étant assurées par lui-même, par Zimmermann, et par Adolphe Gutmann, l'élève favori de Chopin. Ce soir-là, son ami est troublé : il a reconnu dans l'assistance le vilain visage de Pl... qui lui est profondèment antipathique. Un ancien prétendant de Mme Sand, gros garçon d'une trentaine d'années, toujours taché, toujours crotté, le cheveu maigre au vent, le nez barbouillé de tabac, qui tutoie tous ceux qu'il a croisés une fois. "Si mon regard ne peut l'éviter, il le recherchera obstinément. Tournez le piano, je vous en prie, sinon je serais incapable de jouer la moindre note, supplie-t-il. Encore un peu. Là, c'est bien, je ne le vois plus." Et il joue admirablement, suscitant, comme l'écrit Berlioz, ces frémissements électriques, ces murmures d'extase et d'étonnement qui sont les bravos de l'âme."

 

 

 

(Extrait de La grande sonate, de Claude Schopp)

 

 

 

 

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