Les compositeurs que faisait travailler Chopin en priorité à ses élèves étaient : CLEMENTI, MOSCHELES, BACH, HUMMEL et FIELD, comme en attestent les témoignages ci-dessous.
Commentaire de NEUHAUS :
"Chopin proposait à ses élèves, pour commencer, de jouer les gammes comprenant beaucoup de touches noires (la plus pratique pour la main droite étant celle de si majeur, et pour la main gauche celle de ré bémol majeur). Il passait progressivement à celles qui en comportent moins, et aboutissait à la plus difficile, qui n'a que des touches blanches, la gamme de do majeur. Son raisonnement était réaliste, pratique, fondé sur une expérience étendue. Et bien que Chopin, compositeur, pianiste et professeur de génie, ait vécu il y a longtemps déjà, des centaines et des milliers d'exercices, études et autres morceaux pédagogiques ont été écrits dans la tonalité chérie d'ut majeur, avec un visible mépris pour les autres tonalités chargées de diéses et de bémols. [...] Je tiens simplement à souligner que la théorie de l'art du piano est fonction de la structure physiologique de notre main et conserve une spécificité qui la distingue de la théorie de la musique. Chopin, professeur de piano, était un dialecticien ; les auteurs d'exercices "instructifs" sont des schématiseurs, pour ne pas dire des scholastiques."
A la lumière de ces considérations si pertinentes on entrevoit les raisons de mécompréhension de Cortot à l'endroit du PM [Projet de Méthode de Chopin] ; si immense pianiste soit-il, les exercices de ses Principes Rationnels de la Technique Pianistique (Paris, Salabert) commencent quasi tous en do maj. - étant entendu qu'ils sont à transposer dans les douze demi-tons !
On notera enfin que Chopin faisait travailler les Préludes et Exercices de Clementi dans le même ordre que les gammes ; on commençait par le second cahier qui comprend des études comportant quatre bémols ou dièses et davantage
Source : Jean-Jacques Eigeldinger (Chopin vu par ses élèves)
"Parallélement aux gammes et dans le même ordre de succession, Chopin faisait étudier les Préludes et Exercices de Clementi, oeuvre qu'il prisait à un haut degré en raison de son utilité pédagogique." (Mikuli)
Les élèves de Chopin, quel que fût leur degré d'instruction, devaient jouer tous avec soin, outre les gammes, le deuxième cahier des Préludes et Exercices de Clementi et travailler surtout la première Etude en la bémol. Toute note sèche ou dure était recommencée et sévèrement relevée. Pour comble de malheur, l'élève rencontrait, au commencement même, un arpège qui a fait verser bien des larmes. Il fallait l'exécuter rapidement, crescendo, mais sans brusquerie. C'est cet arpeggio qui a attiré à une élève cette apostrophe un peu trop verte de la part du maitre qui, tressautant sur sa chaise, s'écria : "Qu'est-ce ? Est-ce un chien qui vient d'aboyer ?" Je tiens ce détail de feu Mme B[ohdana] Zaleska [Zofia Rosengardt], qui elle-même ne m'a pas ménagé les remontrances en m'indiquant quelques particularités du jeu de Chopin.
Il fallait travailler cette malheureuse Etude de toutes les manières : on la jouait et vite et lentement, et forte et piano, et staccato et legato, jusqu'à ce que le toucher devînt égal, délicat et léger sans faiblesse." (Kleczynski)
"Il donnait ensuite un choix d'Etudes de Cramer et du Gradus ad Parnassum de Clementi ; les Etudes de style de Moscheles qui lui étaient très sympathiques en vue d'atteindre un plus haut degré de perfectionnement ; des Suites de Bach et des Fugues prises isolément dans Le Clavier bien tempéré. [...] Il ne mettait ses propres Etudes op. 10 et 25 qu'entre les mains d'élèves très avancés." (Mikuli)
"Chopin donna d'abord à Mme Dubois le second cahier des Préludes et Exercices de Clementi, puis le Gradus ad Parnassum du même et les quarante-huit Préludes et Fugues de Bach. Il avait une haute idée de la valeur pédagogique des ouvrages de Bach ; cela ressort assez de sa recommandation - lors de leur dernière entrevue [1848] - de toujours travailler Bach. "Ce sera votre meilleur moyen de progresser". " (Niecks)
"Clementi, Bach et Field étaient toujours les auteurs les plus largement mis à contribution dans le cas des débutants." (témoignage de Mathias cité par Niecks)
Les Nocturnes de Field et les siens propres appartenaient aussi jusqu'à un certain point à la catégorie des Etudes. En les travaillant l'élève devait en effet se familiariser avec le legato, apprendre à aimer et à reproduire le beau son lié du chant - et ceci grâce aux explications du maître non moins qu'à son imitation, car Chopin ne se lassait pas de jouer ces oeuvres à l'élève." (Mikuli)
Source : Jean-Jacques Eigeldinger (Chopin vu par ses élèves)