Avant d'en venir au projet avorté du mariage de Frédéric avec Maria, et pour mieux en comprendre les raisons, il faut se pencher sur la situation de la famille Wodziński et celle de Chopin, considéré comme pianiste politique et subversif.
Mais au fait, le séjour de Chopin à Dresde et sa rencontre avec les Wodzinski étaient-ils programmés ? Après Carlsbad, Chopin et ses parents passèrent une semaine à Teplice et arrivèrent chez le Comte de Thun-Hohenstein à Děčín en Bohême le 13 septembre 1835. Le lendemain 14 septembre, Frédéric et ses parents se séparèrent, ces derniers devant reprendre le chemin de Varsovie. Ils ne se reverraient plus jamais.
"Chopin quitta la Bohême le 19 septembre. Son intention était de se rendre à Leipzig où Mendelssohn venait de se fixer. Il fit étape à Dresde le premier soir, heureux de se retrouver dans cette ville qu'il aimait et où il avait laissé de nombreuses relations. A peine installé à l'hôtel "A la ville de Gotha", près du château, il tomba par hasard sur Feliks Wodziński (...) : il ignorait la présence de la famille Wodziński à Dresde. (...)
Grâce à cette rencontre, ce qui ne devait être qu'une étape se transforma en un séjour de treize jours. Madame Wodzińska avait quitté Genève avec ses enfants pour rejoindre son mari à Dresde. La famille attendait qu'une partie de ses biens, confisqués par les Russes, lui fût restituée pour rentrer en Pologne. S'ils avaient choisi Dresde, c'est que le frère de Wincenty Wodziński, le sénateur Maciej Wodziński, condamné à mort après l'Insurrection, y vivait en exil. (...)
Les Polonais étant toujours aussi nombreux à Dresde, les soirées musicales se succédèrent. Les échos de l'une d'entre elles parvinrent aux oreilles de la police locale qui tenait à l'oeil les émigrés polonais. Chopin avait improvisé sur la Mazurka de Dąbrowski ("La Pologne n'est pas encore morte"). Le lendemain, le comte Józef Krasiński, qui se trouvait parmi les auditeurs, fut convoqué à l'Ambassade de Russie où on lui reprocha d'être allé 'dans une maison où l'on chantait des chants patriotiques révolutionnaires'. Et comme il rétorquait qu'il lui aurait été difficile de donner des ordres au musicien, le secrétaire de l'Ambassadeur répondit : 'Si vous voulez être un sujet fidèle du Monarque et ne pas séjourner en pays étranger passant pour un rebelle, vous auriez dû mettre à la porte un démagogue tel que Chopin ou au moins le forcer à se taire et quitter cette maison'. Le passeport de Krasiński ne fut pas prolongé. C'est le second témoignage, en si peu de temps, qui nous renseigne sur la position de Chopin aux yeux des autorités d'occupation russes. Considéré comme un 'rebelle', il ne cachait pas qu'il assumait les risques de cet acte de résistance : se voir interdire définitivement un retour en Pologne. La Mazurka de Dąbrowski , de pays en pays, apportait à ses compatriotes en exil un moment de communion intense dans l'espoir d'une renaissance de leur patrie. Comme une petite flamme vivace, entretenue avec ferveur par celui que Lenz appelle 'un pianiste politique'."
Source : Marie-Paule Rambeau, - "Chopin, l'enchanteur autoritaire" (Ed. l'Harmattan)