En 1832, Kalasanty Jedrzejewicz épouse la soeur aînée de Frédéric Chopin, Ludwika. Il est professeur de droit à l'Institut Agronomique de Marimont et juge de paix au Tribunal de Varsovie.
Le 25 juin 1849, Chopin, qui se sait perdu, se décide à appeler sa famille à son chevet, et plus particulièrement sa soeur Ludwika dont il a toujours été très proche. Il vit alors rue de Chaillot à Paris. Il mit quatre jours à écrire cette lettre et trace comme un appel au secours les mots très significatifs : "Faites vite".
"Ce fut Kalasanty qui reçut la lettre. Ludwika était à la campagne avec les enfants. La princesse Obreskoff y avait joint un mot disant l'état désespéré de Chopin. Alors débuta un drame familial longtemps ignoré, jusqu'à la publication par Krystyna Kobylanska en 1968 d'une longue lettre-confession de 32 pages de Ludwika à son mari, seul moyen qui lui restât de communiquer avec lui. Kalasanty conserva en effet la lettre de son beau-frère plusieurs semaines avant d'informer la famille de l'urgence d'un départ pour Paris. Puis il refusa d'assumer les frais du voyage. Les Barcinski et Justyna durent se cotiser pour permettre à Ludwika de répondre à l'appel de son frère. On ignore les raisons exactes de ce comportement, mais il est douteux que Chopin en ait été directement responsable. En atteignant sa femme dans son affection pour Frédéric, Jedrzejewicz devait régler un conflit conjugal que seule sa mort brutale en mai 1853 allait liquider, puisqu'il la poursuivit de son ressentiment bien après la mort de Chopin, provoquant cette pathétique confession si riche d'informations sur la fin du compositeur."
[...]
"Les Jedrzejewicz arrivèrent enfin à Paris le 9 août avec leur fille, Ludka [...] Le frère et la soeur savaient que le temps leur était compté et ils avaient tant à se dire ! Exclu d'une intimité qui exaspérait sa jalousie, Kalasanty supportait très mal la cohabitation avec son beau-frère, ses habitudes, ses caprices de malade, sa toux qui nuit et jour perçait les cloisons. Il lui signifia rudement qu'il n'entendait pas partager sa femme avec lui :
'Il est vrai que c'était par sollicitude pour moi, mais avoue combien de fois tu t'es mis en colère parce que je restais assise à son chevet tard dans la nuit, tu lui as reproché à lui de m'empêcher de me reposer. C'était par affection pour moi, mais cela lui faisait de la peine et c'était pour moi une épreuve pénible, puisque j'étais venue pour le veiller, le consoler, supporter tout ce qui pouvait apporter un soulagement momentané à ses souffrances, et lui, au cours de la nuit aimait bavarder, me raconter ses chagrins et épancher dans un coeur aimant et compréhensif ce qui le touchait le plus intimement.'
Dans la troisième semaine de septembre, Jedrzejewicz retourna à Varsovie, laissant à Paris sa femme et sa fille et persuadé qu'il ne reverrait pas Chopin à l'enterrement duquel il n'avait pas l'intention d'assister. Les lettres de Ludwika, il ne les communiquait pas à la famille et il se mit ouvertement à dire du mal de son beau-frère. 'Imagine ma douleur quand je m'aperçus que toi, mon meilleur ami, tu mettais en pièces la mémoire d'un mort si cher, si irréprochable, que t'avait-il donc fait ? ' "
Enfin, il faut rappeler (voir l'article précédent sur le sujet : Que sont devenus les meubles et objets de Chopin) qu'après la mort de Frédéric, Kalasanty Jedrzejewicz ordonna à Ludwika de se débarasser de tout ce qui appartenait à Chopin :
'Et tu ajoutais : "Vends tout, ne garde rien, rien du tout", et "aucune guenille de Chopin n'entrera dans ma maison". Oh ! je versai des larmes de sang sur cette lettre ! Peux-tu imaginer la peine que je ressentais au coeur, une peine que je devais cacher aux étrangers, parce qu'ils se réjouissaient de ce que j'eusse reçu une lettre de toi, sûrs qu'elle devait apporter un réconfort et un soulagement à mon coeur.'
Source : Chopin, l'enchanteur autoritaire, par Marie-Paule Rambeau (Ed. L'Harmattan)